Epreuve

[==> suite de "routine"]

Bones allait le tuer. Pire encore, il allait le clouer sur son lit d'infirmerie. Il en avait le pouvoir et Kirk savait qu'il n'hésiterait pas à s'en servir. Mais allez dire à un Capitaine dans l'âme de ne pas se trouver aux commandes de son vaisseau lorsqu'il connaissait un danger imminent ? Même Bones pouvait le comprendre. Il était médecin et ne pourrait jamais cesser de l'être même si on lui interdisait de soigner un autre être humain pour diverses raisons. Cela n'empêchait pas la boule dans sa gorge de prendre de l'importance. Mais il savait qu'il aurait encore moins la conscience tranquille s'il ne se rendait pas sur la passerelle.

Il avait bien fait de ne rien mentionner à Spock. Même si celui-ci n'avait rien dit concernant sa dernière escapade de l'infirmerie, même s'il était évident qu'il se doutait que McCOy ne lui avait jamais donné sa permission, il ne voulait pas tenter sa chance et la compréhension du vulcain une seconde fois.

C'était pourquoi il débarquait au milieu de la passerelle avec une assurance qui ne laissait percevoir aucun doute, aucun geste maladroit.

_Que se passe-t-il ? demanda-t-il alarmé.

Sulu et Uhura se retournèrent vers lui, surpris de le trouver sur la passerelle. Mais déjà Kirk retrouvait son siège de Capitaine et observait les écrans.

_Nous sommes bien arrivés dans le système de Centurion Ier mais il semblerait que les romuliens aient déjà pris possession des-

Sulu fut coupé dans ses explications par un tir ennemi qui fit trembler tout le vaisseau. Kirk se rattrapa de toutes ses forces sur son siège, paniqué par ce tremblement inattendu. Son coeur s'emballa dans sa poitrine et il dut poser une main contre lui pour le forcer à se calmer.

Cela faisait bien trop longtemps qu'il n'avait pas commander, il devait sûrement de réhabituer à nouveau.

_Avez-vous déjà pris contact avec eux pour leur signifier nos bonnes intentions ?

Sulu répondit par l'affirmative. Kirk sentit ses doigts se crisper sur son siège. Un autre tir ennemi vint les bousculer dans leur siège et Kirk s'immobilisa avec toutes ses forces dans son siège.

_Capitaine, que faisons-nous ? cria Sulu en tentant tant bien que mal d'éviter la dizaine de vaisseaux ennemis qui fonçaient droit sur eux.

La vision de cet armada plongeant sur eux que leur offrait l'écran du vaisseau donna des frissons à Kirk. L'image était à la fois captivante et terrifiante. Il n'arrivait pas à en décrocher son regard et le temps lui sembla tout à coup s'écouler très lentement.

_Capitaine, que faisons-nous ? cria Sulu.

De son poste scientifique, Spock analysait les données s'affichant sur ses scanners, et celles-ci étaient plutôt alarmantes. Ils n'avaient pas la puissance de feu nécessaire pour affronter seul une flotte si importante et s'il ne changeait pas le cap dans les secondes qui suivraient, ils ne tarderaient pas à être encerclés.

_Capitaine ? répéta le pilote d'un ton alarmé.

Le vulcain leva les yeux de ses écrans pour les poser sur le fauteuil central. Il y découvrit la forme crispée et figée de Jim. Il ne voyait qu'une partie de son visage mais son regard était fixé sur l'écran principal et il ne semblait même pas avoir conscience du regard inquiet que lui lançaient certains membres de l'équipage. Et pas uniquement les plus jeunes, mais aussi les officiers supérieurs.

_Capitaine, je préconise que nous envisagions une retraite temporaire et que nous mettions le cap sur les coordonnées 4-9-3 avant que nous n'ayons plus d'autre choix que de riposter.

Il n'ajouta pas les probabilités liées à leurs chances de survie si ce cas devait se présenter, toutes les personnes présentes devaient être parfaitement conscientes que leurs choix étaient relativement réduits.

Spock sentit les regards qui voyageaient entre le capitaine et lui mais n'y prêta pas attention. Ce manque de réaction était effectivement inquiétant, et pas seulement parce qu'ils se trouvaient dans une situation critique.

Bien qu'il était réticent à cette idée, si Jim ne réagissait pas dans la seconde qui suivrait, il n'aurait pas d'autre solution que de reprendre le commandement (bien que techniquement, il était toujours le commandant de ce vaisseau), quelles que puissent en être les conséquences pour l'image de l'humain face à ses hommes.

Il ne comprit pas le silence qui s'instaura autour de lui. Plus rien ne comptait dans son esprit que la flotte de vaisseau qui fonçait maintenant sur eux. Kirk ne comprit pas pourquoi son attention semblait figée et il s'arracha avec force de cette vision tétanisante. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'ils étaient attaqués. Il connaissait parfaitement la marche à suivre. Tout n'était que familiarité.

Pourtant, la passerelle lui sembla s'allonger. Il eut une profonde sensation de vertige qui le força à quitter l'écran des yeux. Ses yeux se posèrent lentement sur les officier devant lui qui lui semblaient tout à coup se trouver à plusieurs centaines de mètres. Il ne voyait pas leur visage et leur voix lui parvenait de manière distordue et lente.

Il arriva à bouger légèrement la tête, la tournant avec une profonde difficulté. Il aurait été fait de pierre que l'effort n'en aurait pas été moins difficile. Son premier réflexe fut de chercher Spock du regard. Pourtant, lorsqu'il l'aperçut à son tour, il lui apparaissait suffisamment loin pour qu'il n'entende pas ce qu'il lui semblait lui dire.

Son visage pourtant impassible d'habitude reflétait une inquiétude certaine, il pouvait le sentir de la position où il était. Il apercevait ses lèvres remuer mais aucun son de lui parvenait. Son regard s'ancra à peine quelques secondes à celui du vulcain et une profonde incompréhension l'envahit. L'espace qui se dessinait autour de lui lui compressait la poitrine. Il avait l'impression de suffoquer.

Qu'était-il entrain de lui arriver ?

Lorsque le capitaine lui renvoya son regard, il put lire sur le visage de l'humain une détresse grandissante et il dût faire appel à tout son self contrôle pour rester à son poste. S'ils n'avaient pas fait face à une armada romulienne, il se serait sans aucun doute déjà avancé jusqu'à son fauteuil. Au lieu de cela, il focalisa son attention sur le pilote qui attendait fébrilement de recevoir des ordres.

_Monsieur Sulu, cap sur les coordonnées 4-9-3, vitesse de distorsion maximale.

_A vos ordres, Monsieur.

Professionnel comme il l'était, le lieutenant obéit sans même lancer un regard à son capitaine et ils évitèrent de peu le rayon d'un phaser.

_Trois vaisseaux nous ont pris en chasse, informa Chekov d'une voix tendue.

Spock, comme l'enseigne d'ailleurs, étaient conscients que leurs moteurs étaient plus puissant que ceux des Romuliens. Ce n'était qu'une question de secondes avant qu'ils ne les aient suffisamment distancés. Néanmoins, la passerelle resta silencieuse jusqu'à ce que la voix du jeune russe résonne à nouveau.

_Ils ont cessé leur poursuite, Monsieur.

Il entendit quelques-uns des humains relâcher leur souffle et ils se remirent tous à leur tâche, aussi efficaces qu'ils se montraient toujours. Ils atteindraient la zone calme correspondant aux coordonnées qu'il avait donné dans quelques minutes. La situation était de nouveau sous contrôle.

Le vulcain vérifia une dernière fois les données sur ses scanners puis s'avança sans hésitation vers le siège central. Il refusait de se laisser envahir par ce sentiment d'impuissance un peu trop familier qui tentait de refaire surface, un sentiment désagréablement semblable à ce qu'il avait ressenti lorsqu'il n'avait plus était capable d'aider Jim durant leur emprisonnement, et il se plaça là où il en avait l'habitude, à la droite de Jim. Il se pencha légèrement vers lui, conscient que certains des officiers supérieurs fixaient leurs consoles avec un peu trop d'attention pour qu'il ne s'agisse vraiment que de conscience professionnel, et posa une main légère sur son épaule.

_Capitaine ? Je pense qu'il serait raisonnable que nous regagnions l'infirmerie avant que le Dr McCoy ne se présente à nouveau sur la passerelle.

Il considéra que son ton avait été assez neutre et sa voix assez stable pour ne pas laisser deviner que cette situation le perturbait bien au-delà de ce qu'il était prêt à s'avouer à lui-même.

Il n'y arrivait pas.

Il avait beau lutter de toutes ses forces, il n'y arrivait pas.

Incapable de bouger, incapable de respirer correctement, il sentit son corps échapper à son contrôle. Ce ne fut que lorsqu'il sentit un contact léger sur son épaule que la réalité sembla s'imposer de nouveau à lui et il sursauta légèrement sur son siège, le coeur toujours battant à s'en rompre la poitrine.

_Capitaine ? Je pense qu'il serait raisonnable que nous regagnions l'infirmerie avant que le Dr McCoy ne se présente à nouveau sur la passerelle.

Kirk sentit l'angoisse lui couper plus encore la respiration. Il posa un regard paniqué sur le visage du vulcain, le suppliant silencieusement de ne pas faire mention de ce qui venait de se passer au médecin en chef. Cette épée de Damoclès en plus au-dessus de sa tête lui donna des nausées et il ne se sentit plus du tout capable de rester sur son siège. Tout était bien trop grand, tout n'était que pression. Il était incapable de prendre une quelconque décision.

Il se leva faiblement et manqua de peu de s'effondrer.

_La passerelle.... est à vous, murmura-t-il d'une voix si faible qu'il s'entendit à peine la prononcer.

Il ne reconnaissait pas cette voix, faible, sans aucune assurance. Elle ne pouvait pas être la sienne. Il devait sûrement être encore à l'infirmerie entrain de faire un mauvais rêve.

Il ne laissa pas le temps au vulcain d'y redire quoi que ce soit et filer vers la porte de l'ascenseur. Il mit ses dernières forces pour ne pas paraitre faible et angoissé et une fois que la porte se referma derrière lui, il autorisa ses jambes à flageller et ses genoux à tomber lourdement sur le sol.

Il n'avait plus qu'une idée en tête, retrouver ses quartiers le plus vite possible.

Lorsque Jim releva les yeux vers lui, il resta stupéfié par l'éclat de pure panique qu'il y découvrit. Il lui était même difficile de concilier l'image de l'homme détendu qui s'était installé à sa table dans le mess et de celui-ci qui semblait sur le point de se recroqueviller dans son siège.

Spock fut d'ailleurs pris de court lorsque le capitaine se leva, vacillant presque, et se précipita vers l'ascenseur en lui redonnant le contrôle de la passerelle d'une voix faible. Il resta figé en voyant la porte se refermer derrière lui et s'installa mécaniquement sur le fauteuil, crispé.

Bien qu'il fixait l'écran principal, le départ précipité de Jim se rejouait devant ses yeux et il était parfaitement conscient qu'il aurait été irresponsable de sa part de le laisser livré à lui même alors que son comportement durant l'attaque des Romuliens avait été inquiétant au plus au point.

Sa main vola au-dessus du système de communication interne mais son geste resta en suspend. Alors que la mention du médecin aurait dû apaiser Jim, il avait au contraire littéralement fuit la passerelle dans l'espoir probable de ne pas retourner à l'infirmerie. Il s'agissait pourtant du comportement le plus logique à adopter. Mais peut-être pas le plus judicieux.

Il hésita encore un bref instant puis se leva.

_Mr Sulu, la passerelle est à vous.

[=> La suite dans Les quartiers du Capitaine]