Voici la traduction d'une interview de Leonard Nimoy disponible sur les bonus des dvd de la saison 1 de TOS
Leonard Nimoy - Spock - 9 décembre 2003
Je voyais très bien pourquoi le public s'identifiait au personnage. Pour les enfants, c'était un peu un personnage magique. C'était un être différent, doté de certains pouvoirs. Il était plus fort que les humains. Plus savant que les humains, et il avait une apparence intéressante. Je recevais des dessins d'enfants par centaines. "C'est un dessin de vous". C'était adorable. Les adolescents quant à eux s'identifiaient surtout à la lutte, la crise d'identité, la recherche de sa place dans le monde. La débâcle d'émotions qu'éprouvent les jeunes. Spock en faisait l'expérience et ils s'identifiaient à ça. "Dois-je être calme ou en colère ? Chaleureux ou froid ? Indifférent ou agressif ? Quel genre de personne dois-je être ?" Spock semblait incarner toutes ces questions. Il n'était pas complètement accepté parmi les humains de par sa différence, ni parmi les Vulcains, de par son sang humain. Les gens s'identifiaient à cela.
Et puis, il y avait l'humour. Il y avait des scènes amusantes. L'une des meilleures scènes que j'ai faites, c'était à la fin d'un épisode quand on est tous sur la passerelle, pour la conclusion de l'épisode du jour. Je me tiens à côté de Bill Sharner assis dans le fauteuil du capitaine. Il se tourne vers moi et me dit : "Spock, tout espoir n'est pas perdu. Vous êtes de plus en plus humain." Et Spock répond : "Je ne vois aucune raison de rester me faire insulter." C'est une scène qui définit leur relation, qui définit Spock et son attitude vis-à-vis de lui-même.
I am not Spock
Je ne suis pas Spock était un livre très intéressant à lire. C'est juste que le titre était une erreur. Il est sorti au mauvais moment. Aucun projet n'était en cours. On ne savait même pas s'il y aurait d'autres Star Trek. La rumeur courait que j'étais en conflit avec Paramount, ce qui n'était pas faux. Les gens ont cru alors que Star Trek s'arrêtait parce que Nimoy refusait de jouer Spock. Ce n'était pas du tout le cas. Le livre s'efforçait de raconter ce que je suis en train de raconter. Il expliquait comment avait été créé le personnage, quels épisodes étaient les plus significatifs pour la série et pour Spock et abordait les différents aspects de mon travail sur le personnage ainsi que les techniques d'acteur que j'appliquais. Le travail avec les scénaristes. Mes épisodes préférés. Je disais que si on m'avait donné le choix d'un personnage de télévision, j'aurais choisi Spock.
Mais il y avait également l'histoire de cette dame à l'aéroport qui m'avait reconnu avec son petit garçon de 8 ans. Elle lui dit : "Regarde qui est devant toi." Le petit garçon me regarde sans me reconnaître. "C'est ton personnage préféré. Tu ne rates jamais ses épisodes." Rien. Alors, elle lui dit : "C'est M. Spock." Il ne voyait pas. J'ai trouvé ça intéressant parce que ce n'était pas Spock qui était là. Elle avait voulu dire l'acteur qui joue Spock. Mais il ne voyait pas le rapport. L'anecdote m'a inspiré un chapitre que j'ai intitulé "Je ne suis pas Spock".
Je ne suis qu'un Juif de Boston. J'ai un frère. Spock n'en avait pas. Mes parents sont humains, je n'ai jamais été sur Vulcan. Je n'ai pas d'oreilles pointues et je ne porte pas d'uniforme. Tout ça fait partie du personnage. Mais ce n'est pas moi. Je suis différent. J'éprouve des émotions. Je me mets en colère, je crie, je pleure je suis pareil aux autres humains. Alors quand il a fallu trouver un titre, j'ai trouvé que le titre de ce chapitre était intéressant. Du moins, du point de vue d'un acteur. Mais du point de vue du spectateur, c'était un titre négatif. Les éditeurs m'avaient prévenu qu'un titre négatif n'était pas vendeur. A quoi j'avais répondu : "Vous préférez 'Autant en emporte le vent' ?" Ils m'ont donc laissé faire. Le livre sort et c'est le branle-bas. "Voyez ? C'est à cause de lui que Star Trek s'arrête !" Les gens n'avaient pas lu le livre. En fait, le tumulte causé par la sortie du livre, a failli me coûter la réalisation de Star Trek III.
On avait fini Star Trek II, dans lequel Spock meurt. A la fin du film, on voit le caisson de Spock sur la planète, laissant entendre que ce n'est peut-être pas fini. Pour une raison ou pour une autre, on voit ce caisson intact. On m'a ensuite demandé si Star Trek III m'intéressait. J'ai dit oui, que je voulais jouer dans le film, mais aussi le réaliser. On a commencé à discuter et au départ, ils ont bien réagi. Mais ensuite, on a cessé de rappeler mon agent. J'ai fini par appeler moi-même le directeur du studio. Notre rencontre s'était bien passée et il avait dit : "D'accord." Mais là, impossible de joindre personne. Je l'ai rappelé en lui disant qu'on perdait du temps et que mon agent n'arrivait pas à joindre leur service juridique. Il m'a répondu qu'il ne pouvait pas me laisser réaliser le film, que je détestais Star Trek et Spock, et que la mort de Spock était dans mon contrat. Comment pouvait-il me laisser réaliser un film Star Trek ? Je lui ai répondu qu'il n'y avait rien de vrai à tout ça. Selon la rumeur, j'avais insisté pour que Spock meurt, ce qui n'était pas le cas. Il dit : "Ce n'était pas dans ton contrat ?" "Le contrat est dans un tiroir quelque part dans ton immeuble. "Demande à quelqu'un de te le sortir et tu verras bien." Il m'a dit : "Je te crois sur parole." J'ai ajouté qu'il s'agissait d'un procédé dramatique qui ne venait pas de moi et que je voulais réaliser ce film. Il m'a donné rendez-vous le lendemain. Nous avons discuté pendant une heure, et dans l'heure qui a suivi, mon agent négociait mon contrat.
Mais tout est venu de ce livre que j'avais écrit des années auparavant où je disais : "Je ne suis pas Spock, je suis acteur." Des années plus tard, avec le recul, du fait qu'on avait plusieurs films à notre actif et qu'on avait une approche différente de la question Spock, j'ai pensé qu'il serait amusant d'écrire une suite intitulée : "Je suis Spock". Et j'ai raconté tout ça. Ce rôle m'a changé. Je suis devenu une personne différente. J'ai vieilli avec Spock, tout comme Bill Shatner, même si lui vieillit moins vite. Nous avions une scène dans notre dernier film Star Trek où je lui dis quelque chose du genre : "Je me demande si nous sommes arrivés au terme de notre utilité." En parlant de Spock et de Kirk à bord de l'Enterprise. Mais en lui disant cette phrase, j'ai éprouvé une étrange dualité intérieure, comme un dédoublement de voix. C'était Spock qui parlait. Mais c'était aussi Leonard Nimoy qui parlait à son ami Bill Shatner. Une sorte de fusion s'est opérée. Nous formons une seule personne. C'est ce qui m'a amené à écrire Je suis Spock.
Cet article est la retranscription d'un bonus du coffret DVD The original series Saison 1